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Sensibilisation   Préjugés | 5 min. temps de lecture

« ‘’Perturbations’’ est une comédie satirique qui dénonce les clichés sur l’obésité »

Pour porter haut et fort le message de la tolérance, Jérôme Genevray a écrit et filmé l’histoire de Victor, un employé en situation d’obésité, confronté à la discrimination dans un avion. 

Le scénariste-réalisateur raconte les coulisses de ce court-métrage.

Comment avez-vous pris connaissance du projet du film pour la Journée mondiale de l’obésité ?

J’ai été approché par l’agence Breaking Web, avec qui j’avais déjà travaillé à l’époque où je dirigeais une société de production de films publicitaires. 

En octobre 2022, elle m’a proposé de réaliser un court-métrage pour lancer le débat autour de la tolérance et de l’acceptation des différences dans le cadre de la Journée mondiale de l’obésité qui se déroule chaque année le 4 mars.

Un film de fiction est-il un bon vecteur pour défendre cette cause ?

J’ai toujours été convaincu de la puissance des histoires et de l’implication émotionnelle qu’elles créaient chez le spectateur. Un film permet de transmettre un message qui amène le spectateur à s’interroger. L’objectif de ce court-métrage est de s’adresser, autant aux patients en situation d’obésité, qu’aux personnes qui ignorent tout de cette pathologie. 

En cherchant à faire bouger les idées reçues dont les uns et les autres sont parfois prisonniers, on ouvre forcément le débat sur la cause à défendre.

Comment avez-vous procédé pour construire la trame de votre scénario ?

J’ai d’abord défini un planning assez court et j’ai réfléchi à divers concepts, à divers pitchs, comme on dit dans le jargon. Pour alimenter mon inspiration, je me suis appuyé sur de nombreuses vidéos de patients en situation d’obésité confrontés à différentes situations. Beaucoup y parlent de leur parcours, de leur quotidien. Ce matériau très riche en émotions m’a permis de réfléchir à différents concepts d’histoire. Ces trames ont ensuite fait l’objet de plusieurs d’échanges avec l’agence, mais aussi le comité de pilotage constitué d’associations de patients, de médecins, d’experts de l’obésité et de représentants de l’entreprise de santé danoise Novo Nordisk. Ensemble, nous avons choisi le pitch qui nous inspirait le plus.

Pour voir le film, rendez-vous sur :

Aviez-vous déjà travaillé sur les thèmes de l’obésité et de la grossophobie ?

Non, pas du tout. Cette expérience s’est révélée d’autant plus intéressante pour moi, car elle m’a permis de me plonger dans les divers témoignages. Nous avons participé à plusieurs séances avec le comité de pilotage et, en fonction de l’avancée du scénario, j’ai ainsi pu percevoir jusqu’où pouvait s’étendre une situation conflictuelle, et comprendre que les échanges intolérants n’avaient parfois pas de limites… En tant que scénariste, on doit faire des recherches pour saisir la réalité qui va sublimer la fiction. Pour moi, c’était une position de rêve de pouvoir communiquer avec les patients. Cela m’a permis de construire et d’écrire le scénario plus rapidement, entre la véracité de la situation et les ressorts de la dramaturgie.

Pourquoi avoir choisi le décor d’un avion ?

Plusieurs pistes tournaient autour d’un personnage central en situation d’obésité confronté au regard du monde. Entre les aventures d’un super-héros, un drame, un conte avec un enfant comme personnage principal, nous avions plusieurs pistes… Au fil de la réflexion, l’idée de l’avion est apparue comme une évidence, car elle synthétisait toutes les situations de tension décrites par les patients. Dans le huis clos d’une carlingue, j’ai imaginé des gens qui sortent de leurs gongs parce que confrontés à un moment de stress intense. D’où le terme « Perturbations » choisi comme titre du film. Cette approche a emporté l’adhésion de mes interlocuteurs.

Expliquez-nous le rôle de Victor, le personnage central ?

Victor est une personne en situation d’obésité. Il n’a pas voyagé depuis longtemps et il n’est pas spécialement à l’aise avec les avions. Il préfère rester chez lui, mais son employeur lui demande de se rendre à New York pour rencontrer un client. Le premier problème, c’est qu’à bord, tous les membres du personnel naviguant n’ont pas forcément les bons réflexes pour proposer à Victor une extension de ceinture, un siège un peu plus large… De plus, ce vol connaît de grosses turbulences et Victor, comme les autres voyageurs, est malmené. Cette situation va permettre de révéler la fausse tolérance des passagers face aux imprévus.

Proposez-vous une Happy end ?

Plus qu’une fin heureuse, le film s’achève sur une fin ouverte qui propose une possibilité simple afin que tout le monde s’entende. L’histoire ne se veut pas moralisatrice, mais inspirante sur le sujet. On a pris le parti d’une comédie satirique qui dénonce les clichés sur l’obésité. Cela nous permet de pousser le curseur de la méchanceté pour mieux révéler l’absurdité du raisonnement.

Au début du court-métrage, Victor attend son vol dans une caféteria de l'aéroport et recontre une vendeuse. Quel est le message de cette scène?

Cette scène poursuit deux objectifs. Elle permet d’abord de créer une relation qui, peut-être, deviendra amicale ou amoureuse entre la serveuse et Victor. C’est le côté comédie romantique du court-métrage. Mais sans le faire exprès, la serveuse, elle aussi en surpoids, va stresser encore un peu plus Victor sur les conditions de vol en propageant, de bonne foi, une rumeur selon laquelle les toilettes d’avion sont trop exiguës pour les personnes en situation d’obésité. Ce qui n’est pas le cas, mais ce qui n’est pas non plus très pratique… Dans ces conditions, Victor va entrer dans l’avion en s’imaginant qu’il ne pourra pas bouger pendant les huit heures que dure le vol.

En combien de temps, et avec qui, avez-vous écrit cette histoire ?

J’ai travaillé le scénario avec ma compagne, Camille Hédouin, pendant trois semaines. Il fait une quinzaine de pages pour un film d’environ quinze minutes. Ensemble, nous avions déjà écrit de précédents courts-métrages. Cela permet de confronter les points de vue, de rebondir.

Voir le film :

Comment avez-vous recruté les acteurs ?

J’en connaissais certains, d’autres ont rejoint le film via leur agent. 

C’est notamment le cas de Ted Etienne, l’acteur principal, et de Camille Léon-Fucien, la serveuse de l’aéroport, qui sont tous les deux en situation d’obésité. En décembre, lorsqu’ils ont lu la version finale du scénario, la tonalité leur est apparue juste. Je pense que la qualité de la dynamique lors des échanges avec le comité de pilotage ont permis de bâtir une trame qui leur parlait par rapport à leur vécu.

Comment et où s’est déroulé le tournage ?

Nous avons tourné pendant trois jours à Coulommiers, chez TSF Studios & Backlot 77. Sur cet aérodrome situé en Seine-et-Marne, à 50 kilomètres de Paris, il y a un avion de tournage, posé au sol, sans aile. C’est une expérience assez exceptionnelle de tourner dans la cabine d’un Airbus A320 et de pouvoir simuler un vol sur la terre ferme, d’autant que nous avons fait appel à dix acteurs qui jouent les personnages principaux et secondaires, et à une quarantaine de figurants pour incarner les passagers de l’appareil qui rejoint les Etats-Unis. La dernière journée a été tournée dans un restaurant à Paris pour refléter l’ambiance d’une cafétéria d’aéroport. Cette séquence sera d’ailleurs la première que l’on voit dans le film.

Avez-vous rencontré des difficultés sur le tournage ?

Non, toute l’équipe était enthousiaste et motivée. Grâce au professionnalisme des acteurs et aux techniciens expérimentés, l’exiguïté des lieux n’a posé aucun problème. De plus, j’avais demandé à mon directeur de production de recruter des personnes bienveillantes. C’est fondamental de pouvoir travailler en se respectant mutuellement. On crée mieux et en confiance. Cela nous a permis, malgré la petitesse de l’endroit, de ne pas s’énerver, d’accélérer quand il le fallait. Le sujet du court-métrage a également joué un rôle moteur et donné de l’énergie à l’équipe qui a compris l’importance de la lutte contre l’obésité.

Quelles sont les ultimes étapes avant la diffusion du film ?

On a réalisé le montage en une semaine, avant d’attaquer la post-production sonore. Le musicien Youri Rebeko accompagne ce projet depuis le début. C’est très agréable, et rare, de commencer un tournage avec des propositions musicales. Cela aide et inspire davantage les scènes et, peut-être même, la manière de réaliser. Pour le musicien, la dernière étape consiste à s’appuyer sur le montage quasi-définitif du court-métrage pour ajuster ses maquettes musicales à l’image. La musique du film repose sur un mélange de piano avec des sons électroniques. On oscille entre un tempo plus léger de l’ordre de la comédie et des sons plus décalés, plus dissonants, pour coller à cette notion de « Perturbations » qui va régner dans l’avion. Une fois que tout sera calé, le film sera disponible.

Sur quels supports le court-métrage sera-t-il visible ?

Il sera projeté en avant-première le 28 février au MK2 Bibliothèque à Paris (1). On pourra aussi le découvrir sur le site Perturbations.fr, et sur tous les supports numériques susceptibles d’être intéressés pour diffuser ce message réalisé dans le cadre de la Journée mondiale de l’obésité. Ce qui me plaît aussi, c’est la deuxième vie de ce film. Il pourra être vu sur une clé USB et accompagnera des fiches pédagogiques à destination des enseignants afin qu’ils puissent faire passer le message du respect et de l’acceptation de cette différence physique aux jeunes générations. Cela me touche particulièrement, car de manière générale, je vois un film comme un outil qui favorise la réflexion, permet de délivrer un message et ouvre un dialogue.

A travers l’écriture et la réalisation de « Perturbations », votre regard sur l’obésité a-t-il changé ?

Oui, c’est une évidence. Au départ, je n’avais pas particulièrement de regard sur la maladie. Mais surtout, je n’imaginais pas les réactions, les réflexions ou les regards auxquels sont confrontées quotidiennement les personnes en situation de l’obésité. Écouter les patients et discuter avec le comité de pilotage m’ont mis en alerte. Du coup, à travers l’écriture et la conception de ce court-métrage, j’ai pu concrétiser la défense de cette cause. C’est ma petite pierre à l’édifice. C’est crucial pour moi, à la fois par rapport à mes envies et à mes valeurs : raconter une histoire comme celle de Victor, c’est transmettre au public de la bienveillance et de la fraternité.

 

Philippe Saint-Clair

 

 

Références

(1) Le film « Perturbations » a été projeté le mardi 28 février 2023, au MK2 Bibliothèque, 128-162 avenue de France, Paris 13e.

Jérôme Genevray, un homme de cinéma d’idées

Ecrire, ré-écrire, tourner. Telle est la devise de Jérôme Genevray, homme de cinéma dont la signature ponctue, notamment, le scénario du film La Nuée sorti en 2020 et propulsé numéro 1 mondial pendant une semaine lors de sa diffusion sur Netflix.

Scénariste, créateur de films publicitaires, consultant narratif pour des jeux vidéo, réalisateur et auteur de deux livres sur le cinéma, ce touche-à-tout de la caméra passe de l’écriture de séries et à la conception de longs-métrages avec talent et agilité intellectuelle. Lui qui aime les contes, les légendes et les mythes pour leur portée universelle et symbolique ne se prive pas d’explorer des contrées cinématographiques inhabituelles où l’autodérision et la caricature le dispute parfois à l’irrationnel et l’expérimental.

Sa filmographie recense quelques morceaux choisis comme La Pomme d’Adam avec Bérénice Bejo qui pointe du doigt les rapports homme/femme ou Zombi Chéri, une satire sociale qui puise son inspiration dans une histoire d’amour improbable au cœur d’un Paris peuplé de morts-vivants. Déroutant ? Sans doute, mais dans le cinéma de Genevray, les acteurs et l’intrigue constituent les leviers du débat thématique. « Perturbations » atterrit sur la même piste : celle de la confrontation des points de vue.

 

 

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